[HISTOIRE] On s’intéresse aujourd’hui au projet du Kra Canal, discuté depuis des années maintenant mais sans aucune décision définitive. Petit récapitulatif sur ce projet d’envergure internationale.
Le Kra Canal, c’est quoi ?
Le Kra Canal – ou Canal Thaï – est un projet qui consiste à construire un canal coupant l’isthme de Kra en Thaïlande. L’isthme de Kra est large de 44 kilomètres, mais la hauteur de ses montagnes est de 75 mètres.
Le canal proposé serait long d’environ 50 à 100 km selon le tracé préféré. L’idée est donc de relier l’Océan Indien et l’Océan Pacifique par la Thaïlande.
Pourquoi ?
Cela permettrait de construire une voie plus courte entre la Mer d’Andaman et la Mer de Chine Méridionale et d’éviter ainsi aux navires de faire le tour de la Malaisie.
Origines du Projet.
Diviser l’isthme de Kra a été proposé dès 1677 par le roi du Royaume de Siam, Narai le Grand, qui avait demandé à Lamar – ingénieur Français – d’étudier la possibilité de construire un canal pour relier Songkhla – ville de la région Sud de la Thaïlande – à Myeik – aujourd’hui en Birmanie. Néanmoins, l’idée fut abandonnée, les moyens de l’époque étant trop pauvres pour un tel projet.
Cette idée refit surface plusieurs fois dans l’histoire de la Thaïlande pour diverses raisons : protéger la côte Ouest du – anciennement – Royaume de Siam, faciliter les échanges commerciaux, réduire le temps de traversée des deux mers environnantes, etc … Ferdinand de Lesseps lui-même – constructeur du Canal de Suez – vînt en Thaïlande pour visiter la région, mais le Roi Chulalongkorn – Rama V – ne l’autorisa pas à réaliser d’étude détaillée.
En 1897, le Royaume de Siam et les Britanniques décidèrent de ne pas construire de canal à cet endroit afin de ne pas nuire au rôle régional du port de Singapour.
Le Kra Canal au XXème Siècle.
Plusieurs différents tracés furent proposés au XXème siècle pour ce projet qui ne cessa de refaire surface aux vues des avantages qu’il pourrait apporter à la Thaïlande. En effet, on estime qu’il créerait un essor économique pour la région environnante et même le pays tout entier.
Pourquoi ? Le Canal Kra entrerait directement en compétition avec les ports du détroit de Malacca – Port Klang et Singapour. Ceci est d’ailleurs la principale raison pour laquelle plusieurs rumeurs de complot sont apparues selon lesquelles Singapour et la Malaisie « achèteraient » des hommes politiques thaïs pour retarder le projet au parlement de Bangkok.
Et en 2018 ?
Le Commandant Suprême des Forces Armées de Thaïlande, Saiyud Kerdphol, soutient qu’il est temps de construire ce Kra Canal mais affirme que cela doit être fait suivant la volonté et la bénédiction du souverain de Thaïlande. D’après lui, le gouvernement Thaï n’est pas capable de prendre cette décision car il est conscient qu’il ne pourra pas contrôler la corruption. Il espère donc que le nouveau Roi, avec son passé militaire, pourra faire avancer ce projet au nom de la paix nationale et du développement de la Thaïlande.
Saiyud suggère que le canal pourrait annoncer une nouvelle ère de civilisation pendant le règne de Vajiralongkorn et apporter la paix au Sud du pays. Le nouveau roi s’intéresse tout particulièrement à la région majoritairement musulmane, ce qui laisse certains penser que instaurer une paix entière dans cette région pourrait faire partie de son héritage. D’ailleurs, un sondage récent réalisé par l’Université de Songkhla montre que 74 % des résidents de 14 provinces du Sud sont en accord avec le projet du Kra Canal.
Tandis que les décisions officielles concernant ce projet sont encore floues, le canal a déjà un banquier riche et puissant : la Chine.
La Chine et le Kra Canal.
Récemment, en Janvier 2018, le nouvel ambassadeur de Pékin, Lyu Jian, a annoncé que la construction du Kra Canal ferait partie du projet One Belt One Road – ndlr, énorme projet d’envergure international qui a pour but de construire de nouvelles infrastructures du Pacifique jusqu’à la mer Baltique. C’est la première fois que ce dessein a été officiellement lié au programme Chinois.
Le projet Chinois prévoit 10 ans de construction pour environ 30 000 personnes et un coût compris entre 20 et 25 milliards de dollars.
« Mes amis Thaïs : ne perdez pas votre temps, ne retardez pas ce projet. Nous avons la technologie, nous avons la capacité, nous avons l’argent, nous sommes heureux d’aider. C’est bien pour la Thaïlande, l’Asie et le monde entier. », implora Jinsong Zhao, expert maritime à l’Université Jiao Tong de Shanghai pendant une conférence tenue en Septembre dernier à Bangkok.
Quels seraient les intérêts géopolitiques ?
Par rapport à la géographie et pour des raisons pratiques :
- Contourner le détroit de Malacca ; l’une des zones de piraterie les plus actives du monde.
- Économiser 1200 kms de la route maritime actuelle ; le détroit de Malacca est la route maritime la plus chargée du monde avec un passage estimé à 84 000 bateaux et 30 % du commerce mondiale chaque année.
- Propulser la Thaïlande au centre d’une troisième révolution de transport de commerce international ; augmenter la capacité et la qualité de livraison de biens pour le e-commerce, selon Jinsong Zhao, expert maritime à l’Université Jiao Tong à Pékin.
Par rapport aux relations entre les États-Unis et la Chine :
- Éviter tout blocus en cas de conflit politique ; jusqu’à 80 % des importations Chinoises passent actuellement par le détroit de Malacca que les États-Unis pourraient facilement bloquer dans n’importe quel scénario de conflit en exploitant leur accès stratégique à Singapour.
- Réduire l’avantage des États-Unis sur la Chine ; ce canal forcerait la dynamique stratégique maritime de l’Asie en contournant Malacca, l’un des principaux avantages stratégiques des États-Unis vis-à-vis de la Chine en mer.
CEPENDANT
Un autre analyste indépendant ayant une formation militaire américaine dans la région et conscient de la récente pensée stratégique du Pentagone a déclaré que même si le canal Thaïlandais était construit, cela signifierait simplement que l’US Navy aurait DEUX étranglements stratégiques, plutôt qu’un seul, pour bloquer dans un conflit potentiel avec la Chine.
EN PLUS
Tout en étant pleinement engagés avec Pékin, les défenseurs thaïlandais du canal sont également désireux de constituer une coalition multinationale pour empêcher tout pays, à savoir la Chine, d’exercer un pouvoir excessif sur le canal et ses installations portuaires.
OUI ou NON ?
Aujourd’hui, la discussion semble rester ouverte mais aucune décision officielle n’est encore prise. La Thaïlande ne semble pas avoir d’avis encore assez tranché pour autoriser le Kra Canal.
« Nous ne sommes pas plus proches aujourd’hui de la construction du canal qu’il y a 340 ans. », a déclaré le général Pongthep Thesprateep, président de la TCA et secrétaire général de la Fondation Statesman Prem Tinsulanonda, dans une interview accordée à Asia Times. « Mais pour le peuple et le pays, c’est le bon moment pour commencer. »